Le Ministre des Finances a donné pour instruction à l’ISI (inspection spéciale des impôts) d’inviter les contribuables détenant des comptes bancaires et assurances-vie étrangers non déclarés, à régulariser leur situation. L’ISI a dorénavant connaissance de l’identité de ces contribuables grâce aux données reçues des autres Etats dans le cadre de l’échange automatique d’informations[1].

A défaut de réaction de leur part, l’ISI déposerait automatiquement plainte au pénal.

La déclaration du Ministre des Finances est surprenante. Elle pose question sur le plan du droit belge (violation de la loi sur la DLU quater, du principe de sécurité juridique, de certains principes généraux de droit pénal, etc. ?) et européen (violation du principe de la libre circulation des capitaux, etc. ?).

Régularisation des capitaux prescrits via une DLU quater

Le Ministre entend, par la menace d’une plainte pénale, obliger les contribuables à régulariser leurs comptes bancaires et assurances-vie suivant la procédure légale de DLU quater. Ceci impliquera une régularisation des revenus et des capitaux (sauf preuve de leur origine licite).

Or, selon la loi du 21 juillet 2016[2], l’envoi d’une demande d’informations au contribuable rend en principe l’introduction d’une DLU quater impossible.

L’ISI rencontrera donc des difficultés pour mettre en pratique l’instruction du Ministre.

Incidence du lieu d’établissement de la banque/compagnie d’assurance ?

On peut se demander si l’ISI traitera toutes les données reçues (sans faire de distinction selon l’Etat d’où proviennent les informations) ou si elle ciblera les données provenant d’Etats qualifiés de « suspects » (Luxembourg, Chypre, Malte, etc.). Dans ce dernier cas, on s’interrogerait sur la compatibilité de la démarche de l’ISI avec le droit européen (discrimination vis-à-vis des comptes/assurances détenus dans certains Etats européens suspectés par l’ISI de faciliter la fraude fiscale).

Contribuables visés

La déclaration du Ministre ne précise pas les contribuables visés (s’agit-il de tous les contribuables détenant un compte/une assurance à l’étranger ou uniquement ceux qui ne déclarent pas le compte/l’assurance?).

Si elle est dirigée contre tous les contribuables détenant un compte/une assurance à l’étranger, l’instruction du Ministre poserait question sur le plan du droit européen. Elle reviendrait à créer une présomption de fraude visant les capitaux placés à l’étranger  (violation du principe européen de libre circulation des capitaux, etc.).

L’ISI devrait donc vraisemblablement cibler les contribuables qui ne déclarent pas leurs comptes/assurances.

Incidence d’une DLU bis/DLU ter

Pour rappel, de nombreux contribuables ont régularisé leur situation fiscale par le biais des anciennes DLU. Ces DLU ont, pour la plupart, porté sur les revenus et non sur les capitaux[3]. Quelle sera l’attitude de l’ISI vis-à-vis de ces contribuables ?

Comme ils déclarent en principe leurs comptes et assurances, ils ne devraient pas être concernés par la déclaration du Ministre.

Toutefois, la logique poursuivie par ce dernier (forcer, par la menace d’une plainte, les contribuables à régulariser leurs capitaux étrangers) pourrait amener l’ISI à étendre son action aux contribuables qui ont régularisé uniquement leurs revenus étrangers (par une DLU bis ou ter).

Ceci nous semblerait contestable. Le Directeur de l’ISI de Gand avait déposé une plainte pénale contre les contribuables en question.

Nous avions, déjà à l’époque, fait valoir que cette plainte était contraire, notamment, aux principes de légitime confiance et de sécurité juridique, du non bis in idem, etc. La plainte a finalement été classée sans suite par le Parquet.

Pour ces mêmes motifs, la démarche éventuelle de l’ISI, qui serait dirigée contre les contribuables qui ont eu recours à une DLU bis ou ter, pourrait être illégale.

Conséquences de la déclaration du Ministre ?

La déclaration (critiquable) du Ministre des Finances laisse présager, dans les prochaines semaines, une importante vague de courriers adressés, par l’ISI, aux contribuables dont l’identité a été révélée par l’échange d’informations.

Dans un souci de sécurité juridique (éviter les doutes sur la recevabilité de la DLU, etc.), il est conseillé aux contribuables concernés d’anticiper les démarches de l’ISI et d’examiner, avec l’assistance d’un spécialiste, s’il est opportun pour eux de prendre des mesures quelconques dès à présente.

 

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[1] Informations concernant, notamment, les établissements bancaires et compagnies d’assurance, les numéros de compte et de polices d’assurance, les montants des capitaux et des revenus financiers des résidents belges dans d’autres pays.

[2] Loi « DLU quater ».

[3] Rappelons que la DLU bis ne permettait pas de régulariser les capitaux. La DLU ter le permettait si les capitaux étaient issus d’une fraude fiscale grave et organisée.